Teinture à la renouée des teinturiers
- Sophie
- il y a 5 jours
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 13 minutes
Obtenir des nuances de bleu turquoise grâce à la teinture aux feuilles fraiches de renouée des teinturiers.
J'adore le bleu ! Mais malheureusement, il est très difficile de le trouver dans la nature et on ne peut pas non plus le fabriquer en associant plusieurs teintures car le bleu est une couleur primaire. Seulement quelques plantes produisent du bleu sur textile ; on pourra citer l'indigotier, le pastel des teinturier ou la renouée des teinturiers. Usuellement, le pigment bleu indigo est extrait de ces plantes par fermentation, un processus assez long et fastidieux qui demande de bonne connaissances en chimie. Dans cet article, je vous propose de créer du bleu grâce a une méthode plus rapide qui utilise les éléments chimiques présents dans les feuilles, afin d'obtenir de magnifiques turquoises.
Qu'est-ce que la renouée des teinturiers ?
D'abord, familiarisons nous avec la renouée des teinturiers. Elle fut d'abord classifiée en tant que Polygonum tincotrium avant de devenir Persicaria tinctoria, il est possible de la trouver sous ces deux noms. On la prénomme aussi couramment persicaire à indigo ou indigo japonais. Autant de dénominations qui peuvent t'aider si tu veux faire plus de recherches à son sujet !
Les caractéristiques botaniques de la persicaire à indigo
C'est une plante herbacée annuelle qui produit une inflorescence blanche ou tintée de mauve dont les fleurs donneront naissance à des akènes foncés. Ce sont les feuilles qui sont tinctoriales et qui renferment les précurseurs de l'indigo. Je m'amuse souvent À percer une feuille de renouée des teinturier pour voir apparaitre le pigment bleu au contact de l'air.
À noter qu'elle appartient à la famille des Polygonaceae qui regroupe également la rhubarbe, le sarrasin et l'oseille. Ce sont d'ailleurs des plantes reconnues pour les propriétés tinctoriales, mais je vous laisse faire des recherches si ça vous intéresse. J'ai écris ici une article sur la teinture aux épluchures de rhubarbe.
L'origine et la culture de la renouée des teinturiers
La renouée des teinturiers est originaire d'Asie où elle fut cultivée pour la production d'indigo.
Mais en se procurant des graines, il est très facile de la cultiver sous nos climats tempérés. Elle se repique également très facilement, manuellement ou par elle-même, c'est pourquoi je recommande de la cultiver en pot.
Pour teindre, on récupère les feuilles et pour bouturer, on récupère les tiges (en conservant les deux feuilles du haut) qu'on va placer dans un verre d'eau. La tige va produire des racines et on pourra alors la repiquer en pleine terre.
La chimie du bleu
Les feuilles de la renouées des teinturiers ne contiennent pas le colorants bleu prêt à teindre les fibres textiles. En effet, les vacuoles de la feuille contiennent des molécules d'indican qui sont incolores mais solubles (à l'inverse, le pigment indigotine est insoluble). En présence d'eau, l'enzyme β-glucosidase, contenue dans les chloroplastes de la feuille, divise cette molécule d'indican en deux molécules : un β-D-glucose et une molécule d'indoxyle. Une fois à l'air libre, en présence d'oxygène, les deux molécules d'indoxyle s'oxydent et s'accrochent entre elles pour former l'indigotine, le pigment bleu. La molécule d'indigotine reste alors ''coincée'' entre les fibres textiles et comme le pigment est insoluble, il n'est pas lavable.
Comment sur le schéma ci-dessus, la molécule d'indoxyle est de couleur verte et c'est lorsqu'elle s'associe en indigotine au contact de l'oxygène qu'elle apparait alors bleue. On pourra observer ce phénomène sur le tissu fraichement teint qui est plutôt jaune verdâtre et qui va devenir bleu en séchant.
Comment teindre avec la renouée des teinturiers ?
Il existe plusieurs méthodes pour teindre avec les feuilles fraiches de renouées des teinturiers. Dans cet article, je vais vous exposer celle qui me parait la plus efficace. Toutes nécessitent de l'eau froide voir glacée afin de préserver le plus longtemps possible l'enzyme glucosidase si précieuse à la formation du bleu une fois que les feuilles sont hachées. C'est pour la même raison que les feuilles doivent être cueillies juste avant la teinture et conserver au froid afin de préserver ses propriétés chimiques.
Les ingrédients et le matériel requis pour réaliser une teinture à froid
Les ingrédients nécessaires :
des plants de Persicaria tinctoria dont on cueillera les feuilles au dernier moment
de l'eau froide ou des glaçons
du sel
Le matériel à trouver dans la cuisine :
un blender
un grand saladier pouvant contenir la pièce à teindre
un tamis
La matériel à trouver dans la buanderie :
un étendoir à linge
des pinces à linge ou des cintres
En ce qui concerne les fibres à teindre, il sera plus facile d'obtenir une couleur saturée sur des fibres animales comme la soie ou la laine mais il est également possible de teindre des fibres végétales comme le coton en alcalinisant le pH de la solution avec de la craie (carbonate de calcium) et laisser le tissu tremper au moins une heure d'après l'article de John Marshall.
Dans le processus que je décris ci-dessous, j'ai traité tous les types de fibres de la même façon mais on verra qu'un type de fibre à une affinité particulière avec cette méthode.
La marche à suivre pour teindre avec les feuilles fraiches de persicaire
Tout d'abord, récolter les feuilles fraiches de persicaire à indigo. Le meilleur moment pour la récolte est tôt le matin juste avant la floraison.
Pour ce faire, couper les tiges et les effeuiller sauf les deux feuilles à l'extrémité supérieure. Mettre les tiges de côté pour les bouturer.
Dans le blender, placer les feuilles fraichement ramassées et les recouvrir d'eau glacée. La quantité d'eau ajoutée va influencer la concentration du bain de teinture et donc la saturation de la teinte finale. Pour une teinte saturée, ajouter peu d'eau. Au contraire, pour une teinte claire, ajouter plus d'eau.
Ajouter une pointe de sel afin de favoriser l'extraction du jus des feuilles par gradient, puis mixer le mélange jusqu'à l'obtention d'en smoothie vert.
Placer le tamis sur le grand saladier et verser la contenu du blender dans le saladier afin de récupérer le jus coloré.
Humidifier sous l'eau froide, la pièce de soie à teindre et la plonger dans le saladier en remuant doucement. Les fibres peuvent rester tremper plus ou moins longtemps selon l'intensité de la couleur désirée. Pour intensifier la couleur, faire plusieurs trempages avec un rinçage entre chaque.
Il ne reste plus qu'à faire sécher les coupons teints sur un étendoir ou des cintres. Il est possible de teindre dans le même bain de teinture de nouveaux coupons jusqu'à épuisement de la couleur.
Le nuancier de teinture à la renouée des teinturiers (feuilles fraiches)
Comme à mon habitude, j'ai voulu faire un nuancier pour voir toutes les teintes que l'on pourrait obtenir avec cette plante. Mais comme on l'a vu plus haut, l'indigotine ne forme pas de liaison chimique avec la fibre par le biais d'un mordant, donc j'ai obtenu sensiblement les mêmes résultats avec tous les mordants ! Je détaille quand même ce que j'ai utilisé ci-dessous, à gauche nous avons les fibres animales et à droite, les fibres végétales :
La 1ère ligne d'échantillons, c'est toujours les témoins donc sans adjuvant et on voit qu'il y a déjà une belle coloration.
Sur la 2ème, les fibres sont préparées avec du lait de soja et on voit que le coupon de soie (à droite) est plus foncé.
Sur la 3ème rangé, c'est un bain acide et on remarque une teinte légèrement plus bleutée.
Sur la 4ème, j'ai réalisé un bain alcalin qui donne une teinture légèrement plus verdâtre.
Sur la 5ème, on entame les mordançage aux sels métalliques. Donc, nous avons d'abord le pré-mordançage à l'alun.
S'en suit du mordançage au sulfate de cuivre qui donne de bons résultats sur fibres protéiques.
Et enfin, sur la dernière ligne, le mordançage au sulfate de fer qui donne une couleur moche car le bain de teinture ne contient pas de tanins qui pourraient réagir avec le fer.
Une remarque : les échantillons de laine (fils dans la colonne de gauche) prennent moins bien la couleur que la soie sans mordant et je pense que c'est à cause de la température du bain ; la laine semble mieux prendre la couleur à chaud.
Teindre un chemisier en soie aux allures de ciel nuageux
Ayant obtenu les meilleurs résultats sur la soie, j'ai choisi de teindre un chemisier en crêpe de soie avec la technique décrite plus haut. Afin de personnaliser le chemisier, j'ai voulu y ajouter des motifs et ce bleu d'indigo frais m'inspirait tellement la couleur du ciel, que j'ai spontanément voulu représenter des nuages.
Il me fallait un moyen de conserver le blanc du tissu a certains endroit du chemisier. Après plusieurs recherche, j'ai découvert la technique du Katazome qui consiste à réaliser un mélange de farine de riz gluant et de son de riz qu'on viendra étaler sur l'endroit à réserver sur le tissu.
C'est une recette qui nécessite des ingrédients difficiles à ce procurer en dehors de l'Asie donc j'ai établis une recette plus locale de la pate de réserve que je décris dans mon ebook Impressions Textiles en Teintures Naturelles. Si tu ne l'a pas déjà, file sur la boutique pour te le procurer !
Et pour aller plus loin avec la renouée des teinturiers ?
Les autres propriétés intéressantes de la plante
Persicaria tinctoria est utilisée en médecine traditionnelle chinoise notamment pour ses propriétés de réduction de chaleur corporelle et de détoxification.
De plus, une étude récente en collaboration avec Givaudan (un des leader des colorants alimentaires naturels en Europe), démontre des propriétés cosmétiques et neurologique de l'extrait de persicaire :
favorise le bronzage naturel
stimule la production de molécules du bien-être
Améliore l'humeur et réduis la fatigue en période de faible ensoleillement
Si tu souhaite en découvrir plus sur l'indigo, je te conseille d'aller voir le site de Naettla qui expérimente beaucoup avec l'indigo et qui a notamment parlé d'un soda à l'indirubine, une autre molécule colorante présente dans les plantes à indigo, qui comme son nom l'indique donne des tons roses.
D'autres idées d'applications
Pour rester dans le domaine de la teinture, une autre technique qui fonctionne bien avec les feuille de persicaire à indigo est l'ecoprint, qui consiste à imprimer des feuilles fraiches au marteau directement sur le tissu. Il est possible de faire toutes sortes de combinaison avec les feuilles pour créer des motifs originaux et végétal facilement.
Et en plus, pas besoin de mordançage, un simple rinçage après impression avec de l'eau acidifiée au jus de citron, révélera le bleu.
J'aimerais tester cette technique avec d'autres plantes à indigo comme le pastel des teinturiers pour voir si on peut avoir un résultat similaire avec une plante plus locale. As-tu déjà essayé ? Parlons-en en commentaire :)
Les sources de l'article et autres ressources intéressantes
Yaneva, Z., Ivanova, D., Nikolova, N., & Toneva, M. (2022). Organic dyes in contemporary medicinal chemistry and biomedicine I: From the chromophore to the bioimaging/bioassay agent. Biotechnology & Biotechnological Equipment, 36(1), 1–14. Figure 6. https://www.researchgate.net/figure/Synthesis-of-indigo-from-Indican-and-Indoxyl-6_fig12_311671297
Shi, J., Yang, Y., Zhou, X., Zhao, L., Li, X., Yusuf, A., Hosseini, M. S. M. Z., Sefidkon, F., & Hu, X. (2023). The current status of old traditional medicine introduced from Persia to China. Frontiers in Pharmacology, 14, 1195124. https://doi.org/10.3389/fphar.2023.1195124
De Tollenaere, M., Durduret, A., Chapuis, E., Martinez, J., Sennelier-Portet, B., Scandolera, A., & Reynaud, R. (2024). Sunshine in a bottle: Harnessing the power of Persicaria tinctoria extract for radiant skin and enhanced well-being. SOFW Journal, 150(7+8), 11–14.
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